La mise en problème européen de l'économie publique

C'est l'histoire d'un échec ; un échec qui sonne d'abord comme une énigme : comment comprendre en effet qu'un « projet européen » né au coeur des années 1950-1960, en plein âge d'or des services publics, n'ait jamais fait véritablement place au circuit public de l'économie, voire en ait fait au fil du temps une de ses cibles réformatrices privilégiées ? La question soulevée par Mélanie Vay n'est pas simple ; surtout quand elle est posée depuis la patrie autoproclamée du service public et qu'elle nous arrive encore prise sous la couche épaisse des batailles politiques qui se sont développées sur ce thème depuis la campagne référendaire de 2005. Les mots (service public, intérêt général, etc.) paraissent piégés tant ils sont chargés de sens, usés sans doute d'avoir trop servi. Au fil des chapitres, le lecteur réouvre une archive largement oubliée — celle de ces projets et mobilisations au soutien de la reconnaissance d'une économie publique européenne, et de leur articulation (changeante dans le temps) à l'idée d'un néo-mercantilisme européen (« Europe industrielle ») ou d'une « Europe sociale ». Et on suit les jalons : comment l'économie publique fait tardivement intrusion en janvier 1957 dans les négociations des traités de Rome, sous l'effet d'une remobilisation in extremis de ses soutiens politiques et syndicaux français inquiets de voir nié son statut dérogatoire au regard des politiques de la concurrence. Comment aussi les dirigeants des entreprises publiques européennes peinent à se doter d'un relai d'intérêts à Bruxelles avec la création du modeste Centre européen de l'entreprise publique (CEEP). Comment enfin au cours des années 1990 le mastodonte public qu'est EDF, véritable « État dans l'État » français, entre de plain-pied dans la bataille quand ses monopoles se trouvent mis en danger, et engage sous l'étendard du « service public à la française » une impressionnante (mais au final vaine) mobilisation administrative, technique, politique, nationale et européenne pour réécrire les traités européens. Reste cette nouvelle énigme, plus dérangeante encore sans doute, à laquelle conduit insensiblement l'histoire de cet échec qu'est-ce alors qu'une politique sans notion robuste du « public » ? Préface d'Antoine Vauchez, Directeur de recherche CNRS, CESSP, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Mélanie Vay, Doctorante de l'Ecole doctorale de science politique (Paris 1).